" Le parcours d’Adèle Ensior est toujours relié à l’art : après les Beaux-arts du Mans, elle obtient son DNAP en 2011 puis étudie la photographie à Rennes. Depuis 13 ans, elle dessine, peint, écrit, brode...
Lorsqu’elle m’a contacté pour écrire ce texte, je me suis souvenu de nos discussions Rennaises, d’une chose surtout : Adèle se défend d’avoir une griffe, une patte. Elle photographie ce qu’elle aime, ce qui importe, au gré des jours. Mais en plongeant dans son travail, en me confrontant à ses obsessions d’artiste, cette fameuse griffe était là, partout ou presque. Quand sommes-nous maîtres de notre art ? Ces obsessions irriguent sa photographie et ses dessins, créent une toile patiente et cohérente.
Dans Portraits, les visages sont des miroirs brisés ; une femme s’y tient le visage, semblant vouloir arracher ce masque. D’un portrait on attend qu’il incarne, pose une stature ; Ensior désarticule et désincarne. Le thème se retrouve dans Carcan, où la chevelure d’une femme l’enferme, l’oppresse. L’art aime, dans la chevelure, son jaillissement et sa sensualité : chez Ensior, c’est la cage. La série Décalée reprend ce thème : quelque chose est toujours de travers, dans les visages. Un nez ou une bouche s’égare ailleurs, une main jaillit de la nuque. Dans Faits divers, à nouveau tout se désarticule : les membres sont tordus, les corps sont des poupées qu’on chiffonne. Quelque chose semble vouloir sortir d’eux, s’échapper. La question : une âme peut-elle enfin jaillir ? Jusqu’où malmener la chair, la presser, pour qu’en gicle une fulgurance ? Thème qu’elle explore à nouveau dans Plisse, en remodelant les chairs comme une potière, et qui rappelle Jenny Saville, ainsi que dans Vaisseaux. C’est l’épiderme en géométrie, la recherche d’une rupture. Sa série de dessins Intimité, plus apaisée, propose une danse des corps ; ils y sont brûlants, mais sereins dans leur jouissance. Le désir s’affirme, la sensualité y est douce et violente. Mais Ensior ne perd pas de vue ses thèmes, abordant par exemple la question du transgenre. Même la série Cimetières, où flotte quelque chose d’apaisé, est à contre-courant de l’art : le cimetière est un endroit maudit que les humains fuient ? Ensior y promène son appareil, persiste avec douceur à rencontrer sa fin. Parmi ses influences, elle cite Marcel Duchamps, Egon Schiele ou Sophie Calle : quoi de plus logique ? Le fameux urinoir est un doigt d’honneur aux codes de l’art ; les portraits décharnés de Schiele en sont un aussi, dans leur ingratitude superbe, leur refus des diktats de beauté ; et Sophie Calle a bâti sa réputation sur son culot incroyable. Tous cherchent ou cherchaient une voie médiane de l’art, au sens de Nietzsche : nous ne lirons pas les tables existantes, nous en écrirons de nouvelles.
Women, présentée par Adèle Ensior en 2020, est une série de neuf autoportraits aux teintes rouges. L’artiste y pose nue, de face, frontale ; les portraits se débattent, hurlent, rient, pleurent, supplient. Au premier œil, j’y ai vu la souffrance d’une femme qui se débat dans son enveloppe, sa prison identitaire. Au deuxième, j’y ai vu le climax de son travail féministe, la profession de foi d’une artiste : je suis une rage, un éclatement, un chaos, et j’aime ça. Quand le chaos exulte.
Lorsqu’elle m’a contacté pour écrire ce texte, je me suis souvenu de nos discussions Rennaises, d’une chose surtout : Adèle se défend d’avoir une griffe, une patte. Elle photographie ce qu’elle aime, ce qui importe, au gré des jours. Mais en plongeant dans son travail, en me confrontant à ses obsessions d’artiste, cette fameuse griffe était là, partout ou presque. Quand sommes-nous maîtres de notre art ? Ces obsessions irriguent sa photographie et ses dessins, créent une toile patiente et cohérente.
Dans Portraits, les visages sont des miroirs brisés ; une femme s’y tient le visage, semblant vouloir arracher ce masque. D’un portrait on attend qu’il incarne, pose une stature ; Ensior désarticule et désincarne. Le thème se retrouve dans Carcan, où la chevelure d’une femme l’enferme, l’oppresse. L’art aime, dans la chevelure, son jaillissement et sa sensualité : chez Ensior, c’est la cage. La série Décalée reprend ce thème : quelque chose est toujours de travers, dans les visages. Un nez ou une bouche s’égare ailleurs, une main jaillit de la nuque. Dans Faits divers, à nouveau tout se désarticule : les membres sont tordus, les corps sont des poupées qu’on chiffonne. Quelque chose semble vouloir sortir d’eux, s’échapper. La question : une âme peut-elle enfin jaillir ? Jusqu’où malmener la chair, la presser, pour qu’en gicle une fulgurance ? Thème qu’elle explore à nouveau dans Plisse, en remodelant les chairs comme une potière, et qui rappelle Jenny Saville, ainsi que dans Vaisseaux. C’est l’épiderme en géométrie, la recherche d’une rupture. Sa série de dessins Intimité, plus apaisée, propose une danse des corps ; ils y sont brûlants, mais sereins dans leur jouissance. Le désir s’affirme, la sensualité y est douce et violente. Mais Ensior ne perd pas de vue ses thèmes, abordant par exemple la question du transgenre. Même la série Cimetières, où flotte quelque chose d’apaisé, est à contre-courant de l’art : le cimetière est un endroit maudit que les humains fuient ? Ensior y promène son appareil, persiste avec douceur à rencontrer sa fin. Parmi ses influences, elle cite Marcel Duchamps, Egon Schiele ou Sophie Calle : quoi de plus logique ? Le fameux urinoir est un doigt d’honneur aux codes de l’art ; les portraits décharnés de Schiele en sont un aussi, dans leur ingratitude superbe, leur refus des diktats de beauté ; et Sophie Calle a bâti sa réputation sur son culot incroyable. Tous cherchent ou cherchaient une voie médiane de l’art, au sens de Nietzsche : nous ne lirons pas les tables existantes, nous en écrirons de nouvelles.
Women, présentée par Adèle Ensior en 2020, est une série de neuf autoportraits aux teintes rouges. L’artiste y pose nue, de face, frontale ; les portraits se débattent, hurlent, rient, pleurent, supplient. Au premier œil, j’y ai vu la souffrance d’une femme qui se débat dans son enveloppe, sa prison identitaire. Au deuxième, j’y ai vu le climax de son travail féministe, la profession de foi d’une artiste : je suis une rage, un éclatement, un chaos, et j’aime ça. Quand le chaos exulte.
Georges Z. VERNAT "